
Michel SABLIER

36 rue Geoffroy Saint-Hilaire
75005 Paris
Responsable du pôle "Méthodes séparatives appliquées aux biens culturels"
Membre de l’editorial board du journal Environmental Science and Pollution Research (Springer)
Membre du comité de gestion du club Ile de France de l'AFSEP (association francophone des sciences séparatives)
La caractérisation physico-chimique des matériaux constitutifs des œuvres d'art et des objets des collections est un champ d’investigation en pleine expansion dans les sciences de la conservation. De cette caractérisation résulte une meilleure compréhension de l’évolution chimique passée et une meilleure anticipation des risques à venir pour la conservation des biens culturels. L’étude des matériaux du patrimoine culturel, en raison notamment de leur grande diversité et de leur interaction avec leur environnement, constitue toutefois un vrai défi scientifique où l’interdisciplinarité et la multidisciplinarité des questions posées forment un champ fertile où les méthodologies, les techniques d'analyse et les idées émises dans chaque domaine scientifique spécifique peuvent être optimisés et, finalement, appliqués avec inventivité.
L’objectif de ce pôle « Méthodes séparatives appliquées aux biens culturels » est d’aider au développement et à la mise au point d’expériences qui permettront de répondre aux questions posées par la conservation des biens culturels tout en introduisant de nouvelles stratégies analytiques autour des méthodes de spectrométrie de masse pour les domaines de recherche du CRC.
Caractérisation des papiers asiatiques anciens : fibres papetières et encres
La motivation initiale de ce travail de recherche reposait sur la nécessité de développer de nouvelles méthodes expérimentales basées sur l’analyse chimique des composants des fibres pour, d’une part, aider à l’identification des papiers traditionnels asiatiques historiques fabriqués artisanalement et, d’autre part, développer une méthode complémentaire à l’analyse microscopique, seule méthode expérimentale disponible jusqu’à maintenant pour certifier leur provenance ou leur composition.
Ainsi une méthode d’analyse s’appuyant sur le couplage de la pyrolyse à la chromatographie gazeuse et à la spectrométrie de masse a été développée pour la caractérisation des fibres papetières utilisées dans la fabrication des papiers asiatiques traditionnels ; si ce travail a permis de caractériser la présence de marqueurs chimiques spécifiques de ces fibres liés à leur biochimie, pour certaines espèces de plantes, la différenciation s’est avérée délicate voire insatisfaisante par Py-GC/MS, l’introduction du couplage Py-GCxGC/MS avec une chromatographie intégralement bidimensionnelle dans le domaine de l’étude des matériaux du patrimoine. Son application à la caractérisation de l’origine de ces fibres papetières a clairement démontré les avantages présentés par cette technique (ce travail de recherche a notamment été développé avec un doctorat du programme China Scholarship Council/Sorbonne Universités 2015-2018).
L’ouverture vers la Py-GCxGC/MS de l’analyse des papiers asiatiques a démontré comment le gain de sensibilité inhérent à la GCxGC permettait d’affiner les données obtenues pour l’identification de l’origine des fibres papetières des papiers asiatiques pour optimiser notamment l’utilisation combinée d’outils statistiques (analyses multivariées) pour obtenir une information inaccessible autrement.
Dans le cadre de cette thématique, c’est donc le potentiel de la Py-GCxGC/MS comme méthode d’analyse discriminante d’espèces de plantes voisines qui a été révélé : ce résultat ouvre la voie à une discrimination « chimio taxonomique » de plantes dont l’intérêt dépasse le seul domaine des papiers asiatiques.
Développement instrumental : chromatographie en phase gazeuse intégralement bidimensionnelle
Les échantillons issus d’objets du patrimoine sont généralement formés de molécules chimiques d’origine variée (animale, végétale, fossile…), qui comprennent des familles chimiques diverses et qui sont issus de processus techniques de fabrication plus ou moins complexes (traitements thermiques, mélanges, fermentation, broyage). La chromatographie en phase gazeuse intégralement bidimensionnelle (GCxGC) répond au besoin d’une réponse analytique à très haute capacité résolutive qui lui permet d’identifier un nombre accru de composés dans un échantillon complexe. En couplant deux colonnes capillaires avec des phases stationnaires de différente sélectivité en série, il devient possible de séparer des composés qu’il n’était pas possible de séparer par chromatographie monodimensionnelle ; tout l’échantillon est analysé dans les deux dimensions caractérisées par le choix de polarité de ces phases stationnaires.
L’aspect le plus révolutionnaire de la méthodologie GCxGC intégralement bidimensionnelle tient à ce que l’échantillon entier est résolu dans ces deux colonnes capillaires distinctes de sélectivité complémentaire et à une augmentation induite de la résolution des pics. Son couplage avec la spectrométrie de masse introduit une troisième dimension sélective pour la détection et fait de la GCxGC/MS la technique analytique la plus puissante pour l’analyse de composés organiques volatils ou semi-volatils.
À notre connaissance, avant son introduction au CRCC en 2014, aucune expérience de chromatographie en phase gazeuse intégralement bidimensionnelle Py-GCxGC/MS n’avait été développée à ce jour pour des études relevant du domaine du patrimoine.
Les premières applications choisies pour le développement de cette expérience ont porté, outre la caractérisation d’encres chinoises anciennes (Collaboration dans le cadre de l’ERC Advanced Grant SH5, ERC-2017-ADG - coordinateur PI: G-J. Pinault - EPHE, Paris - “History of the Tocharian Texts of the Pelliot Collection”), sur la caractérisation d’échantillons de collagènes osseux, l’analyse de laques asiatiques, l’analyse de bitumes et ont confirmé les bénéfices d’une séparation chromatographique bidimensionnelle pour ces polymères naturels complexes.
Caractérisation de marqueurs chimiques issus de la dégradation des matériaux du patrimoine : études des composés organiques volatils marqueurs potentiels de dégradation
Les Composés Organiques Volatils (COVs) regroupent une grande variété de composés appartenant à différentes familles chimiques (alcanes, alcènes, aromatiques, acides, alcools, aldéhydes, cétones, éthers, terpènes, composés organochlorés ou soufrés…) dont la diversité de fonctions chimiques leur confère des réactivités très variées. Les matériaux organiques patrimoniaux sont soumis à des processus de vieillissement et d’altération qui aboutissent à l’émanation de tels composés. Leur identification rapide et exhaustive constituerait un atout majeur pour l’étude de la dégradation des matériaux du Patrimoine.
Actuellement la mesure des COVs nécessite des prélèvements d’échantillons d’air dans les collections ou les ateliers de restauration, puis une analyse en laboratoire par désorption chimique suivie d’un dosage GC-MS. Les prélèvements à l’aide d’échantillonneurs, passifs - par adsorption sur un matériau adsorbant (pompage d’air sur charbon actif) sont simples et efficaces mais présentent plusieurs inconvénients : choix de l’échantillonneur en fonction des composés attendus -absence d’exhaustivité-, nécessité de connaitre a priori la gamme de concentration attendue et la capacité de piégeage pour ne pas saturer le système, influence des conditions ambiantes, durée de prélèvement à adapter selon les cinétiques d’adsorption des composés.
Un nouveau projet porte sur la détection et la quantification en temps réel de composés organiques volatils (COV) au moyen d’un spectromètre de masse à réaction de transfert de protons (PTR-MS) récemment acquis par le CRC (projet ReadVOC DIM MAP IdF porté en co-direction avec une maître de conférence du laboratoire, S. Cersoy).
Cet instrument permet la détection potentielle in situ, en temps réel sur une large gamme de concentration (pouvant aller du ppm au ppt) avec un temps de réponse court (de la seconde à la minute) de composés volatils rencontrés dans les collections patrimoniales, ainsi que leur quantification.
Trois types d’applications, concernant à la fois la conservation préventive, l’hygiène et la sécurité ainsi que l’identification de résidus sont envisagées prioritairement : (1) appréhension des mécanismes de dégradation de biens culturels exposés à ou émettant des COVs particuliers, (2) détection de produits présentant un risque et évaluation des performances de matériaux sorbants innovants, (3) identification non invasive de résidus odorants, notamment archéologiques.
Ce nouvel axe de recherche s’inscrit en complément des travaux menées sur la caractérisation des cires, paraffines et résines employées dans les techniques de fermeture (lutage) des bocaux présents dans les collections du MNHN, ainsi que la caractérisation de COVs émis lors de la dégradation de rouleaux peints japonais.
La chimie de composés présents émis naturellement par les matériaux ou issus de leur évolution dans le temps devient ainsi accessible in situ et en étude dynamique : à titre d’exemple, des expériences récentes semblent ouvrir des perspectives sur la rationalisation des compositions en bornéol/camphre présents dans certains conditionnements en bois (le camphre étant réputé agir comme biocide) : il semble apparaître que le camphre présent dans les encres anciennes chinoises apparaît lors du vieillissement contrôlé de celles-ci, seul l’isobornéol et le bornéol sont détectés dans des échantillons de référence et le camphre serait formé lors du vieillissement selon un mécanisme à préciser (humidité, présence d’acide). Cette origine serait donc à rapprocher des réactions observées en phase condensée, ce qui donne tout son intérêt à cette approche expérimentale d’analyses de COVs et de compréhension des réactions les régissant.