A l'origine du CRC, il y a eu le Centre de Recherche sur la Conservation des Documents Graphiques (CRCDG). Voici un texte (de la genèse à l'ARSAG) qui retrace l'histoire du CRCDG, rédigé par Françoise Flieder, première directrice (1963-1998). Ensuite quelques mots sur le passage du CRCDG au CRCC et enfin du CRCC au CRC.

Françoise Flieder,

« Le Centre de recherches sur la conservation des documents graphiques (CRCDG) »,

La revue pour l’histoire du CNRS ; DOI : https://doi.org/10.4000/histoire-cnrs.679

GENESE

Outre les innombrables désastres que la Seconde Guerre mondiale a provoqués, il faut signaler les très importantes détériorations subies par notre patrimoine national, victime durant cette période de mauvaises conditions de conservation. Le manque de chauffage et donc l’excès d’humidité qui ont régné durant plus de six ans dans les magasins de livres et d’archives des différentes institutions patrimoniales, ont favorisé le développement de nombreux micro-organismes, qui ont trouvé dans le papier un milieu de culture particulièrement favorable à leur croissance.

C’est en revenant de déportation que Julien Cain, administrateur général de la Bibliothèque nationale, découvre la situation. Il prend alors conscience de la spécificité des problèmes posés par la préservation du patrimoine écrit, et de la nécessité de s’y consacrer de façon urgente et approfondie. Sous son impulsion, le CNRS crée en 1953 un poste de chercheur, qui m’a été attribué pour étudier ces questions. Thérèse Kleindienst, secrétaire générale de la Bibliothèque nationale et proche collaboratrice de Julien Cain, sait le convaincre qu’il faut rechercher de solides appuis au cœur d’un organisme pluridisciplinaire pour diriger mes premiers pas. Le professeur Roger Heim, compagnon de déportation de Julien Cain, directeur du Muséum national d’histoire naturelle et titulaire de la chaire de cryptogamie, accepte de m’héberger dans son propre laboratoire pour m’initier à la mycologie, qui n’était pas ma spécialité. Parallèlement, Thérèse Kleindienst me forme aux sciences de l’archivistique, et m’introduit auprès des responsables de collections pour faire, avec eux, un inventaire des problèmes auxquels ils sont confrontés journellement. À la même époque nous effectuons, en collaboration avec Pierre Dury, secrétaire général des Archives nationales, le recensement des quelques travaux publiés sur le sujet, qui constituera la base du centre de documentation du Centre de recherches sur la conservation des documents graphiques (CRCDG).

CREATION

Dans les années 1950, s’il existe dans divers pays des laboratoires de recherche sur la conservation des biens culturels, peu d’entre eux se préoccupent des documents graphiques, hormis l’Istituto di Patologia del libro fondé à Rome en 1938 et le Service derestauration de la bibliothèque Lénine qui voit le jour à Moscou en 1952. Le CRCDG est officiellement créé en 1963, par arrêté interministériel (ministère des Affaires culturelles et ministère de l’Éducation nationale), à l’initiative non seulement de Julien Cain et de Roger Heim, mais aussi d’André Chamson, de l’Académie française, directeur général des Archives de France, et de Jean Chatelain, directeur des Musées de France, tous deux intéressés par l’ensemble des études entreprises. Cet arrêté précisait les objectifs du Centre : étudier les différentes causes de détérioration des documents graphiques et les moyens préventifs et curatifs à mettre en œuvre pour les garder dans leur état d’origine le plus longtemps possible.

Les activités du CRCDG étant appelées à s’étendre considérablement, les 150 m2 qu’il occupe au sous-sol du laboratoire de cryptogamie se révèlent très vite trop exigus, et on envisage de lui donner une structure d’accueil plus large et plus autonome. Là encore, Thérèse Kleindienst se montre très persuasive auprès de Julien Cain et Roger Heim, et les laboratoires sont transférés en 1971 dans des locaux très spacieux (1 000 m2) spécialement conçus à leur usage, situés toujours au sein du Muséum national d’histoire naturelle, au-dessus des magasins de livres de la bibliothèque centrale.

Le Centre sort alors de la tutelle du laboratoire de cryptogamie qui lui a assuré, pendant dix-huit années, son soutien scientifique et une totale prise en charge administrative et financière ; il doit à présent prendre son envol. Deux années sont nécessaires pour trouver un cadre administratif à cette petite équipe, qui n’est à l’époque constituée que de cinq personnes. En 1973, le CRCDG devient une unité mixte dont les trois partenaires de tutelle sont le CNRS, le ministère de la Culture et le Muséum national d’histoire naturelle. Grâce à l’intérêt bienveillant et au soutien chaleureux d’un certain nombre de personnalités appartenant à ces administrations, le Centre n’a cessé de se développer et l’équipe s’est agrandie : 20 postes supplémentaires d’ITA ont été créés en dix ans.

C’est Thérèse Kleindienst qui a orienté avec dynamisme, efficacité et compétence les recherches initiales ; elle restera l’âme de ce laboratoire et sa véritable instigatrice.

DOMAINES DE RECHERCHES

Le premier problème sur lequel nous nous sommes penchés, dès 1953, a donc été celui de la désinfection : il fallait trouver une méthode qui fût capable de lutter à la fois contre les micro-organismes, les insectes et les bactéries, sans pour autant mettre en péril le document. L’oxyde d’éthylène utilisé dans l’agroalimentaire et dans le domaine chirurgical répondait à ces critères, mais il convenait de définir un protocole adapté aux biens culturels. Ce procédé a été utilisé pour la première fois en 1967 et 1968 pour sauver nombre de documents précieux lors des grandes inondations de Venise, Florence et Lisbonne. L’usage de ce gaz est actuellement remis en question, en raison de son caractère très toxique pour l’homme. Malheureusement, aucun substitut n’ayant été trouvé à ce jour, l’oxyde d’éthylène est toujours utilisé, mais selon un protocole différent, extrêmement strict et respectueux de la santé publique et de l’environnement. Nos travaux sur l’oxyde d’éthylène nous ont très vite conduits à nous interroger sur l’innocuité des traitements de conservation à l’égard des différents constituants du livre. C’est dans cette voie que le CRCDG a joué au cours des années 1960 un rôle de pionnier, en établissant une méthodologie, applicable à tous les matériaux, qui est aujourd’hui normalisée et répandue dans tous les pays.

Les recherches menées sur le papier ont été très nombreuses, l’environnement néfaste auquel il est trop souvent exposé étant à l’origine de multiples détériorations qui peuvent prendre des formes variées. La pollution atmosphérique, en particulier, provoque une hydrolyse acide de la cellulose, principal constituant du papier. Des méthodes chimiques ont été mises au point, afin de pouvoir neutraliser ces acides, et conférer au document une protection contre les altérations futures. Cette désacidification se pratique en immergeant les feuilles les unes après les autres dans une solution basique ; mais, bien conscients que seul un traitement de masse pourrait sauver l’immense quantité de documents en péril, nous avons élaboré un procédé permettant de traiter en une seule opération un nombre important de livres sans les dérelier. Ce procédé ainsi que d’autres sont utilisés avec succès depuis de longues années dans le monde entier. Le renforcement des papiers dégradés a également fait l’objet de nombreuses recherches qui ont abouti à des applications pratiques dans les ateliers de restauration.

Les problèmes posés par le cuir et le parchemin concernent à la fois la restauration et la conservation. Nous avons essayé de mieux comprendre les différents mécanismes de dégradation du cuir, pour être à même d’élaborer des traitements adéquats ; c’est ainsi que, par exemple, pour combattre l’assèchement du cuir, deux formules de cire, qui ont fait l’objet de brevets, ont été proposées aux amateurs de livres anciens ; leur action combinée, à la fois protectrice et nourrissante, augmente l’espérance de vie des reliures. Le parchemin, qui est pourtant un matériau très résistant, subit lui aussi trop souvent des altérations dues à un environnement mal adapté : les travaux sur le renforcement, le nettoyage et l’assouplissement ont apporté des solutions dans bien des cas. Nos recherches se sont étendues au sauvetage des objets archéologiques en cuir, particulièrement ceux que l’on retrouve en milieux gorgés d’eau et qui nécessitent des soins spécifiques. La mise au point d’une technique d’assèchement par lyophilisation a permis de disposer d’un matériel stabilisé présentant un aspect extrêmement satisfaisant et pouvant être présenté au public. Ce nouveau procédé de lyophilisation est aujourd’hui utilisé, à grande échelle et avec succès, pour assécher des documents graphiques, des livres et des liasses d’archives sinistrés lors des inondations.

Le domaine de la photographie a été abordé plus tardivement, dans les années 1980.Nos efforts ont porté sur l’amélioration de la conservation, plutôt que sur la restauration. Nous nous sommes de préférence attachés, comme pour le cuir, à étudier en détail les mécanismes de détérioration de certains phototypes anciens et contemporains et notamment les procédés sur supports instables, tels que les nitrates et les acétates de cellulose. Cependant, l’accent a été mis sur les mesures préventives à mettre en œuvre pour protéger les collections. Des méthodes ont été définies pour évaluer la qualité du traitement de développement afin de s’assurer que les produits chimiques utilisés ont bien été éliminés et ne risquent pas d’endommager ultérieurement l’image. Les recherches ont été également orientées sur le choix des contenants et des émulsions les mieux adaptés à une conservation de longue durée.

TRANSMISSION

La transmission du savoir, en matière de restauration, s’est longtemps effectuée de façon traditionnelle : les apprentis s’initiaient à leur métier dans les ateliers au contact de leurs aînés, mais cette formation, certes irremplaçable, s’est révélée insuffisante. Devant la diversité des matériaux utilisés et la sophistication des nouvelles techniques, il est devenu indispensable que les restaurateurs acquièrent des notions scientifiques, notamment en chimie, physique et biologie. Le CRCDG a ainsi participé, à l’initiative de Georges-Henri Rivière, Hélène Arhweiler et Jean Dehaye, à la création en 1973 de la maîtrise de sciences et techniques « Conservation et restauration des biens culturels », dépendant de l’université Paris I. Les chercheurs du Centre y dispensent, encore aujourd’hui, un enseignement théorique et pratique et de nombreux étudiants sont accueillis dans nos laboratoires pour y préparer mémoires de maîtrise, diplômes d’études approfondies ou thèses de doctorat. De création plus tardive, l’Institut français de restauration des œuvres d’art, aujourd’hui appelé « département de restauration des œuvres d’art de l’Institut national du patrimoine » fait aussi appel aux enseignants du CRCDG qui y assurent des cours et des conférences. Cette activité d’enseignement s’adresse également aux futurs conservateurs qu’il convient de sensibiliser aux sciences exactes, pour leur permettre de mieux appréhender les problèmes posés par la sauvegarde du patrimoine dont ils ont la charge. Durant des années, les élèves de l’École supérieure des bibliothèques, de l’École du Louvre et de l’École nationale des chartes ont suivi nos cours. Aujourd’hui, c’est par le biais de l’Institut national du patrimoine que nous contribuons à former les conservateurs de demain. La formation permanente n’est pas la moindre de nos missions, elle s’accomplit en direction des restaurateurs et des conservateurs français et étrangers.

Sur le plan international, le CRCDG a toujours été présent dans de multiples instances. Avant même la naissance du Centre, j’ai participé à la création de l’actuel Comité de conservation du Conseil international des musées (ICOM-CC). Au cours d’une des toutes premières réunions, en 1958 au Rijkmuseum à Amsterdam, parmi la quarantaine de personnes présentes, j’ai rencontré certains de ceux que je considère comme mes maîtres, et dont je ne peux citer les noms sans émotion. Je souhaite évoquer ici en particulier la mémoire de Georges-Henri Rivière, Paul Coremans et Arthur van Schendel qui, à l’époque, dirigeaient respectivement l’ICOM, l’Institut royal du patrimoine artistique et le Rijkmuseum. Si ce Comité, qui regroupe à l’heure actuelle près de 2 000 personnes, a été l’un des premiers créés, avec l’International Institute of Conservation (IIC), d’autres organismes ont ensuite vu le jour, avec lesquels nous entretenons d’étroites relations. Depuis une douzaine d’années, cette collaboration internationale a été renforcée grâce à des programmes de recherche européens. Ces projets donnent lieu à de fructueux échanges avec des chercheurs et des industriels de l’Union européenne et sont l’occasion de mettre en commun un grand potentiel de moyens humains et matériels.

Ce bilan peut sembler modeste. Il a pourtant nécessité beaucoup d’énergie et de persévérance de la part de tous ceux et de toutes celles qui ont œuvré à une meilleure connaissance du patrimoine et à l’élaboration de méthodes sûres, simples et efficaces pour le conserver le plus longtemps possible. Ce travail minutieux s’est toujours fait en étroite symbiose avec les conservateurs de collections et les restaurateurs, ce qui a facilité grandement notre action et nous a permis de suivre quotidiennement les réalisations pratiques découlant de nos recherches. Ces années ont apporté leur lot d’échecs et de réussites, de déceptions et d’espoirs. Une chose est sûre cependant : aujourd’hui, dans notre domaine, un grand nombre d’idées et de techniques ont acquis droit de cité, et semblent tellement aller de soi qu’elles paraissent avoir toujours existé : je pense en particulier à la conservation préventive qui est actuellement une préoccupation dominante, que le CRCDG fait sienne depuis près de trente années.

Association pour la recherche scientifique sur les arts graphiques (Arsag)

L’Arsag, association pour la recherche scientifique sur les arts graphiques régie par la loi du 1er juillet 1901, a été créée en 1972 pour informer, assister et mettre en relation tous ceux qui s’intéressent à la recherche scientifique appliquée à la conservation du patrimoine écrit ou photographique. Son rôle est aussi de sensibiliser un large public aux problèmes que pose la conservation de ce patrimoine.

  • Objectifs

Le patrimoine écrit et photographique, constitué de matériaux fragiles, joue un rôle essentiel dans le maintien de la mémoire collective. Le préserver de la dégradation pour le transmettre aux générations futures est un devoir. On connaît les risques encourus par ce patrimoine : dangers quotidiens, agressions de l’environnement et du temps qui passe ; dangers occasionnels, incendies, inondations, contaminations biologiques… Il existe heureusement des remèdes. La recherche en conservation, qui ne cesse de progresser, a déjà apporté de nombreuses solutions aux problèmes rencontrés. Elle couvre plusieurs domaines complémentaires : étude des matériaux qui constituent les œuvres et les documents et de ceux qu’on utilise pour leur restauration et leur conservation ; mise au point de traitements spécifiques ; détermination des meilleures conditions environnementales afin d’assurer au patrimoine culturel la plus grande longévité. Ces objectifs ne peuvent toutefois être atteints que si tous les acteurs de la conservation travaillent ensemble dans un esprit pluridisciplinaire : conservateurs, restaurateurs, chercheurs, photographes, architectes, industriels…

  • Activités

En facilitant le partage de l’information et les échanges d’expériences, l’Arsag se définit comme le lieu de rencontre de ces spécialistes.

Cette mission se concrétise de plusieurs manières : publication d’une revue annuelle Support/Tracé qui contient des articles de fond, des notes techniques, une revue bibliographique, des comptes rendus de congrès et de colloques, des renseignements pratiques, des adresses utiles… Chaque numéro comprend également un dossier thématique et une rubrique concernant l’histoire des sciences et des techniques ; organisation régulière de réunions thématiques et de journées d’études internationales qui mettent en présence des experts en conservation du monde entier. Ces manifestations font l’objet de publications ; possibilité de fournir consultation et avis à ses adhérents, notamment à l’occasion de sinistres naturels ou accidentels mettant en péril des documents.

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Du CRCDG au CRCC

En 2007, le CRCDG a changé de nom au regard de ses nouvelles missions, pour devenir le Centre de Recherche sur la Conservation des Collections, CRCC.


De 2007 à 2012, divers financements européens et les programmes Investissements d'Avenir ont enclenché une dynamique collective de réflexion sur la recherche dans le domaine des sciences du patrimoine. Les recherches programmées dans le cadre des nouveaux Labex Patrima et Matisse et les nouvelles plateformes d’instrumentations scientifiques mises en œuvre ont conduit le MNHN, le CNRS et le MCC à regrouper le CRCC avec le Laboratoire de Recherche sur les Monuments Historiques, LRMH.

DU CRCC AU CRC

Au milieu des années 2000, le CNRS encourage fortement le regroupement de petites unités. Dans cette logique, le CRCC, USR 3224, se rapproche du Laboratoire de Recherche des Monuments Historique, service à compétence nationale du Ministère de la Culture et de la Communication. Ce laboratoire est également impliqué dans la recherche sur la conservation et la restauration des biens culturels avec une forte spécialisation sur les matériaux que l’on rencontre dans les monuments historiques, qu’il s’agisse de pierre, de plâtre, de béton, de métal, de peinture murale, ou de textile. Une convention est signée en 2012. Un rapprochement similaire est réalisé l’année suivante avec l’équipe conservation-recherche du Musée de la Musique qui relève directement de la Philharmonie de Paris, établissement public à caractère industriel et commercial sous tutelle du Ministère de la Culture et de la Communication. Le projet scientifique commun est avalisé par l’AERES en 2013. La nouvelle unité de service et de recherche (USR) s’appelle désormais Centre de Recherche sur la Conservation (CRC).

Le CRC est devenu une unité d'appui et de recherche (UAR) au 1er janvier 2022.

 

Publié le : 21/12/2022 16:02 - Mis à jour le : 20/02/2024 10:01