Développement de la microscopie optique non-linéaire sur les matériaux à base de peau
La microscopie optique non linéaire ou microscopie multiphoton est une technique optique largement développée dans le domaine biomédical, mais relativement nouvelle et prometteuse pour l’analyse des matériaux du patrimoine. Cette technique permet de réaliser une imagerie en trois dimensions de façon non invasive avec une résolution micrométrique. Elle présente l’avantage de pouvoir combiner plusieurs modes de contraste, dont la fluorescence excitée à deux photons et la génération de second harmonique (SHG). Ce dernier signal provient des structures non-centrosymétriques (ex. cellulose, plâtre, collagène fibrillaire).
Les recherches menées entre le Centre de Recherche sur la Conservation (CRC) et le Laboratoire d’Optique et Biosciences (LOB) au sein de l’Ecole Polytechnique ont mis en évidence le grand potentiel de la microscopie optique non linéaire (NLO) pour étudier les matériaux du patrimoine, notamment ceux à base de peau. Cette technique permet, à la fois d’accéder à des informations morphologiques à l’échelle microscopique et d’évaluer l’état de conservation du collagène dans ces matériaux. Grâce à l’approche corrélative développée entre la microscopie multiphoton et la spectroscopie nano-infrarouge il a été possible d’identifier l’origine chimique des modifications de signaux de microscopie NLO lors de la dégradation du collagène. Plus récemment, une méthode de quantification de l’altération dans les parchemins basée sur la mesure des signaux de SHG résolus en polarisation a été développée pour détecter les premiers stades de dégradation des parchemins.
A l’automne 2021, débutera le projet CaraColl - Caractérisation et suivi des modifications physico-chimiques du Collagène lors de l’altération des parchemins, recherche doctorale centrée sur la compréhension des signaux de microscopie NLO lors de la dégradation des parchemins. Dans le cadre du projet Equipex+ ESPADON, le CRCC s’équipera prochainement d’un microscope optique non linéaire optimisé pour l’analyse des matériaux du patrimoine et ouvert à la communauté.
Etude matérielle des manuscrits anciens du Mont Saint-Michel
Le Centre de Recherche sur la Conservation conjointement avec la bibliothèque patrimoniale d’Avranches a débuté en 2019 une étude sur l’analyse matérielle des manuscrits médiévaux du Mont Saint-Michel pour retracer l’évolution des pratiques dans les scriptoria monastiques normands. Sur l’année 2019-2020, un corpus exceptionnel d’une cinquantaine de manuscrits, datés entre la fin du Xe et la fin du XIe siècle ont été analysés de façon approfondie. Les analyses, qui ont rassemblées plusieurs équipes au sein du CRCC, ont porté sur les différents matériaux constitutifs, soit le support en parchemin, les encres et les matières colorantes (pigments, colorants et liants). Le soutien de la direction du Livre et de la Lecture du Ministère de la Culture et de l’équipex Patrimex, ont permis de réaliser ces mesures sur site par des techniques portables, et ont favorisé la venue à Paris de six manuscrits pour étudier les enluminures complexes par des techniques d’imagerie. Un documentaire (lien ici) a été réalisé à l’occasion des campagnes de mesures au sein de la bibliothèque patrimoniale d’Avranches en 2019.
Les résultats de cette étude matérielle permettront à la fois de confirmer et compléter les attributions réalisées sur la base de l’étude codicologique des manuscrits, et de fournir des marqueurs pour les manuscrits produits dans ce scriptorium à cette période. D’autre part, l’étude visera à mieux comprendre les dégradations observées sur certains pigments afin de permettre une meilleure conservation de ces décors. Les données recueillies sur les différents matériaux viendront enrichir les notices des manuscrits de la Bibliothèque virtuelle du Mont Saint-Michel, et serviront de référence à la communauté scientifique pour entreprendre des approches comparatives avec d’autres corpus de manuscrits normands. Ces informations seront également intégrées au sein du nouveau parcours de visite prévu pour 2021 au Scriptorial d’Avranches, lieu d’exposition des manuscrits.
Cuirs dorés polychromés - Etudes sur la provenance et l'altération de ces décors
Ancêtres de nos papiers peints, les cuirs dorés, appelés également Cuirs de Cordoue, ont suscité un grand engouement entre le XVIème et le XVIIIème siècle en Europe. Ils ont été surtout employés comme tapisseries ou tentures murales dans les hôtels, les châteaux et les grandes demeures bourgeoises. En dépit de leur nom, l’or n’intervient pas dans le processus de fabrication de ces décors dont la couleur dorée est obtenue par la présence d’une feuille d’argent, collée sur le cuir, sur laquelle est appliqué un vernis jaune. De nos jours, il reste très difficile de dater et d’attribuer à un atelier particulier des décors en cuir doré car ils sont rarement signés et seules leurs caractéristiques stylistiques permettent d’émettre des hypothèses sur leur origine.
Les travaux menés par le CRC en collaboration avec deux spécialistes des cuirs dorés Céline Bonnot-Diconne, restauratrice et Jean-Pierre Fournet, historien d’art, ainsi que d’autres laboratoires de recherche, ont permis l’analyse des différents matériaux constitutifs de ces décors. L’objectif est ainsi de confronter les données physico-chimiques et stylistiques obtenues sur un corpus de cuirs dorés, afin d’identifier des marqueurs physico-chimiques permettant d’attribuer ces décors à un atelier ou à une région d’origine. Le projet CORDOBA (FSP 2014-2015) s’est focalisé sur l’analyse physico-chimique de la feuille d’argent au sein de ces décors par faisceau d’ions (PIXE et RBS) sur l’accélérateur AGLAE (C2RMF). Ces analyses ont permis de déterminer la composition chimique des feuilles ainsi que leur épaisseur, afin de mieux comprendre les matières premières et leur provenance, ainsi que l’impact des étapes de fabrication de ces décors sur les feuilles d’argent. Les études se poursuivent actuellement sur les autres matériaux constitutifs, notamment le vernis et la couche de protection sur ces décors, ainsi que le cuir.
Le ternissement, voire le noircissement, de la feuille d’argent des tentures en cuir doré est un problème récurrent dans les collections, et touche principalement les zones dites « argentées », ne possédant en surface qu’une très fine couche organique. Cette altération peut se limiter à des zones superficiellement peu étendues, mais peut aussi entraîner un assombrissement généralisé de l'ensemble d'un décor, ce qui affecte profondément la lisibilité de l’œuvre et nuit à l'esthétique de l'ensemble. Le projet CORD’ARGENT (FSP 2015-2016) s’est intéressé à mieux comprendre les processus de dégradation de la feuille d’argent au sein de ces décors et de préciser les différents facteurs qui jouent un rôle dans leur apparition, notamment les conditions climatiques, les matériaux constitutifs et les différents traitements de restauration.