La temporalité – le « caractère de ce qui existe dans le temps » – de l’objet patrimonial lui-même s’inscrit bien sûr entre sa fabrication et le présent. Et c’est aussi le rapport à la matérialité, de cet objet comme de tous ses constituants – l’histoire matérielle – qui réunit l’ensemble des recherches de nos trois équipes.

Conservation, restauration, histoire, musique, patrimoine et culture. Altération, dégradation, cinétique, vibration, stabilisation, réversibilité, provenance, origine, usages, datation, … Tous ces mots, fortement structurants de nos travaux au sein de l’unité, s’appuient sur la notion de temps.


Ainsi, les mécanismes de dégradation, que nous étudions à l’échelle des molécules ou des groupes fonctionnels (cellulose, collagène, terpènes, sulfures…), sont des phénomènes temporels, aux cinétiques propres (« lentes » comme l’évolution de certains polymères, « rapides » comme l’incendie d’un monument historique). Ils se traduisent à l’échelle des matériaux par une modification de leurs propriétés mécaniques (souplesse d’un cuir, d’une feuille de papier, propriétés vibratoires d’une corde, d’une table d’harmonie…), chimiques (sensibilité à l’environnement, aux manipulations, aux solvants), optiques (couleur, brillance, transparence…), etc. Les objets peuvent en être modifiés dans leur forme et lisibilité (érosion des éléments architecturaux sculptés, déformations dues au fluage des matériaux…), dans leur fonctionnalité (documents papier devenant non-consultables, modifications des propriétés acoustiques d’un instrument de musique, bâtiment commençant à présenter des
risques pour les personnes …), etc.


Les actions humaines contribuent également à l’histoire matérielle : usures, endommagements, restaurations,mais aussi : caviardages de documents, extensions de monuments, « modernisation » d’anciens instruments. La diversité au cours du temps des pratiques de conservation et de restauration (fluides de conservation de spécimens naturels, etc.) suscite également des recherches nouvelles, visant à optimiser ou remplacer les
techniques anciennes, voire à en atténuer les effets néfastes à long terme.
Les fréquents exemples de remplois viennent toutefois bousculer la conception d’une temporalité unique associée à l’objet que nous conservons aujourd’hui. La récupération de pierres de bâtiments en ruines pour en construire de nouveaux, réarrangement de débris de vitraux de verrières endommagées pour en compléter d’autres, remploi de fragments de documents devenus obsolètes comme matériaux de renforts pour la construction de nouveaux objets (reliures, luths). Ces remplois de fragments d’objets plus anciens renvoient à leurs propres temporalités – celles des fragments, comme celles des objets dont ceux-ci sont issus – qui sont comme « emboîtées », dans celle de l’objet : celui-ci contient en effet les seuls vestiges conservés de ces autres objets le précédant, qu’il nous revient également de conserver, de caractériser, de rendre accessibles.
D’autres temporalités encore précèdent celle de l’objet. L’élaboration des matériaux constitutifs relève de leurs temporalités propres (la fabrication du papier, du parchemin, de l’encre précède celle des livres, la préparation des matières photosensibles celles des photographies…). Les matériaux naturels s’inscrivent également dans des temporalités propres, associées au vivant (datation et période de croissance des arbres utilisés pour la
charpente de Notre-Dame ou pour la table d’harmonie d’un clavecin,…), ou non (périodes géologiques de formation des roches dans lesquelles sont taillées les pierres d’un monument historique), tout en contribuant par leurs caractéristiques optiques, mécaniques, chimiques, etc. aux valeurs culturelles (« couleur », « beauté », « préciosité »,…) et à la conservation de l’objet.
Ces temporalités multiples inscrites dans la matérialité des objets eux-mêmes constituent des socles et réservoirs d’informations « encodées dans la matière » sur lesquelles s’appuient les paradigmes d’enrichissement des savoirs dans nos disciplines. Les traitements de conservation que nous développons visent à ralentir des processus de dégradation, et tendent à stabiliser dans le temps la matérialité des objets. Aussi, les histoires de nombre de nos objets d’étude sont indissociables d’aspects sociaux et culturels qui affectent les enjeux sociétaux contemporains et les valeurs culturelles que doivent prendre en compte les discours patrimoniaux auxquels nous contribuons (les codex, de la diffusion des textes et des savoirs ; les lieux de culte, des pratiques religieuses ; les banjos, de l’esclavage…). Ces valeurs touchent par exemple aux questions d’authenticité et d’originalité, aux questions autour du caractère invasif et de la réversibilité de nos actions, à des questions d’ordres muséologique, déontologique, sociétal. La temporalité est donc une notion transversale à toute l’unité et constitue un terrain fertile d’animation de celle-ci, par la réflexion collective inter-équipes sous la forme d’un séminaire de recherche de 3-6 séances environ par année universitaire.

Séminaires
Publié le : 16/07/2025 14:36 - Mis à jour le : 16/07/2025 15:05